

Interview
Luc Richard, accompagnateur en montagne
Notre accompagnateur en montagne Luc Richard s’est spécialisé sur les chemins d’art en Haute-Provence, près de Digne-les-Bains. Rencontre avec ce grand voyageur à la curiosité sans faille.
Luc, comment as-tu découvert la région de Digne et le massif des Monges ?
« La première fois, je suis arrivé à pied dans la ville de Digne. C’était en juin 2010. Je marchais avec mon ami Constantin. Nous avions décidé de refaire en sens inverse l’itinéraire qu’avait emprunté mon ancêtre, un paysan queyrassin, deux cents ans auparavant. Ce dernier était parti à pied puis en diligence du Queyras pour s’installer à Toulon. Pendant quinze jours nous avons marché entre campagnes et alpages, dormant à la belle étoile. Digne-les-Bains se trouve à peu près au milieu de l’itinéraire. Je suis un grand adepte de ce type de voyages à pied au long cours car, du point de vue du citadin que je suis fondamentalement, ils permettent d’éprouver son existence à travers les sens, de se frotter physiquement à un territoire et développer une attention particulière aux détails. D’emblée, en arrivant dans cette région de Haute-Provence, j’ai été frappé par ces paysages qui me faisaient penser au Tibet.

Quelques années plus tard, lorsque je suis devenu accompagnateur en montagne, je me suis installé avec ma femme et mon fils dans le massif des Monges, en Haute-Provence. C’est alors que j’ai découvert Refuge d’art, œuvre remarquable réalisée par Andy Goldsworthy avec le musée Gassendi. Je connaissais depuis mon adolescence cet artiste héritier du land art anglais. Mes parents achetaient tous les livres consacrés à son travail. J’étais alors fasciné par sa démarche singulière. En m’installant dans les Monges, je fus stupéfait de découvrir que cet artiste que j’adorais avait créé ici même une de ses œuvres majeures !»
Explique-nous, pourquoi la région est finalement au croisement de plusieurs de tes passions ?
« Tout d’abord il y a ces paysages sublimes, qui présentent un mélange unique d’atmosphère méditerranéenne et d’ambiance alpine, avec une grande palette de couleurs liée à la diversité des milieux – dans une journée de randonnée on peut traverser des forêts de hêtres, de chênes et de mélèzes, passer de la garrigue provençale, en adret, aux prairies d’alpages, en altitude.
Il y a aussi la géologie, avec certes le côté très scientifique, mais aussi génératrice de nombreuses métaphores poétiques et là aussi une grande richesse de couleurs : les marnes noires, les grès lie de vin… Ces paysages sont des machines à remonter le temps qui conservent les traces de mondes engloutis. En fermant les yeux, on se retrouve à marcher dans des forêts de palmiers et croiser des créatures préhistoriques au milieu de lagunes tropicales. Pour moi, contempler ces paysages fossiles, c’est comme s’offrir une plongée dans les mondes imaginaires de Jules Verne et de H.P Lovecraft qui me sont chers.







Enfin et surtout, s’insérant dans ces paysages uniques, il y a la collection d’art en montagne du musée Gassendi, un dispositif unique au monde : un musée dans la montagne, constitué d’œuvres d’art in situ qui prend place sur 200 000 hectares. Ce n’est pas de l’art « rapporté », les œuvres sont créées dans le lieu, en lien avec les montagnes et les rivières, le monde rural et ses mutations, la faune et la flore, et des figures historiques importantes. Par exemple : Pierre Gassendi, rival de Descartes en son temps, ou Alexandra David-Neel, qui vécut une partie de sa vie à Digne. L’installation des œuvres par un musée sur ce territoire immense fait profondément sens, car ici la géographie s’impose dans ses dimensions physiques et humaines. Ce qui me touche personnellement c’est que toutes ces œuvres ont une signification profonde, elles se répondent les unes aux autres. Il y a aussi une dimension sociale importante : rendre l’art accessible à tous, tisser des liens avec les communes rurales qui sont impliquées dans ces projets artistiques.
Cette collection exceptionnelle est avant tout lié aux équipes dynamiques du Cairn et du musée Gassendi. Le premier est un « foyer » d’art contemporain lié au musée Gassendi. Il accueille tous les ans, en résidence, des artistes importants. Nadine Gomez, conservatrice du patrimoine, a donné l’impulsion initiale, qui se poursuit aujourd’hui avec Sandra Cattini, nouvelle conservatrice depuis 2024. Les artistes invités depuis trente ans trouvent ici un lieu de création en extérieur, dans de grands espaces, et un environnement professionnel avec le musée. Ils ont bien sûr une liberté de création totale.
Avec Refuge d’art, l’intérêt d’Andy Goldsworthy n’est pas la nature en elle-même mais la présence des hommes dans les campagnes et le dur travail pour s’y maintenir. Lui-même vit dans un village écossais et apprécie que ses voisins soient des fermiers. Autre artiste important : Richard Nonas. Il y a une dimension anthropologique dans son travail. Par exemple, son œuvre Vière et les moyennes montagnes évoque les relations d’un ancien village avec son environnement, la mémoire des connexions et les traces d’une vie rurale disparue. herman de vries quant à lui, a créé des œuvres liées à la contemplation de la nature, à la mémoire de communautés humaines disparues et à la transformation des paysages, avec une forte influence de la philosophie orientale. En tout, cent cinquante œuvres d’art représentent le travail de quinze artistes. Cette collection n’est pas privée, les œuvres sont dans le domaine public, elles sont accessibles à tous. Cette démarche éloigne la collection d’art en montagne du musée Gassendi de la marchandisation à outrance à laquelle est parfois associé l’art contemporain.
Enfin, la dernière passion que je partage avec la région de Digne est la maison d’Alexandra David-Neel, première européenne à avoir atteint Lhassa, une personnalité exceptionnelle, féministe très en avance sur son époque. Cette maison, où elle vécut, est aujourd’hui devenue un musée. Il se trouve que je voyage depuis trente ans en Chine et au Tibet. Je parle couramment chinois. J’ai notamment réalisé une traversée du Tibet avec son récit de voyage dans la poche… À elle aussi, les paysages de la région de Digne faisaient penser au Tibet.
En 2023, le pôle Ambulo de Digne-les-Bains, qui regroupe le musée Gassendi, le foyer d’art contemporain du Cairn et la maison Alexandra David-Neel a reçu le prestigieux label Centre d’art contemporain d’intérêt national.»

Peux-tu nous présenter les 2 circuits art et randonnée que tu as créés et que tu accompagnes ?
Rando Land Art autour des œuvres d’Andy Goldsworthy – 6 jours en itinérance
Le premier circuit que j’ai créé est centré sur l’œuvre Refuges d’art d’Andy Goldsworthy. Cette œuvre se déploie sur une centaine de kilomètres, au fil des paysages et des refuges d’art. En six jours d’itinérance à pied, nous en voyons 90%. C’est une expérience totale car nous vivons et dormons dans ces œuvres-lieux que nous voyons changer avec la lumière au fil des heures. Il n’y a ni eau courante, ni électricité, les refuges d’art sont des bâtiments rustiques. Néanmoins nous dormons « en dur » à l’abri et profitons dans l’un d’entre eux de la cheminée pour une soirée autour d’un feu de bois. J’ai amélioré le confort du couchage en proposant en option un kit comprenant un excellent sac de couchage Valandré, très léger mais bien chaud (avec une sensation de confort inégalé), ainsi qu’un matelas auto-gonflant, un oreiller gonflable et un drap sac en soie… Et comme j’adore cuisiner je mijote des petits plats, souvent végétariens, à base d’excellents produits frais et locaux. Enfin, nous alternons les nuits en refuges d’art avec les nuits dans des gîtes de randonnée confortables.




Sur ce circuit, que je maîtrise parfaitement, nous marchons à une allure modérée, il est adapté à toute personne ayant l’habitude de randonner. Le sac est un peu plus lourd que sur une randonnée normale, car nous sommes en autonomie mais je fournis une liste de matériel à emporter pour éviter le superflu. Ce circuit a beaucoup de succès – voir les retours enthousiastes des participants aux précédents séjours.
« Pour moi, il existe une différence fondamentale entre l’œuvre d’art que l’on regarde quelques minutes dans un musée et l’œuvre avec laquelle on vit pendant un peu de temps, avec laquelle on dort. Dormir dans une sculpture, c’est une idée merveilleuse. » Andy Goldsworthy »
Vers les chemins d’Art, randonnées culturelles en Haute Provence – 4 jours en étoile
Ce second et nouveau séjour est très différent car il permet de bénéficier tous les soirs du confort et de la cuisine créative de la Villa Gaia, avec même la possibilité de chambres individuelles. Il est axé sur la découverte du travail de trois artistes cités au-dessus au cours de randonnées accessibles et faciles : Andy Goldsworthy, Richard Nonas et herman de vries. Mais aussi des œuvres de Joan Fontcuberta ou Paul-Armand Gette. Sans oublier la visite du musée Gassendi, cœur battant de la collection d’art en montagne, de la Maison Alexandra David-Neel et de l’antenne du musée Guimet (musée national des arts asiatiques) qui a ouvert en 2024. Nous découvrirons aussi le Géoparc de Haute-Provence.
En quelques jours, on a un concentré de cet univers riche et passionnant à découvrir à Digne-les-Bains dont vous pouvez avoir un avant-goût en lisant le catalogue qui vient de paraître.
L’art en montagne Collection du musée Gassendi
Sous la direction de Sandra Cattini et Nadine Gomez-Passamar
Auteurs : Jacques Leenhardt, Lydie Rekow-Fond. Photos de Jean-Baptiste Warluzel.
Éditions Fage, octobre 2024. 256 pages, 150 illustrations, 40 €.




Le site de Luc Richard : www.lucrichard.fr
L’UNESCO Géoparc de Haute-Provence :