Le toumo ou yoga du froid
Le 4 novembre 2024

Rencontre avec Vincent Henn, notre accompagnateur en montagne, qui a pour passion le froid ! Il nous éclaire sur le yoga du froid ou toumo, qu’il pratique avec passion et qu’il a choisi de partager à l’occasion de stages de yoga du froid en hiver, basés dans le cadre idyllique du Vercors.

Peux-tu nous décrire ce qu’est le toumo ?

« C’est un terme qui nous vient du Tibet, pour désigner ce qu’on appelle le yoga du froid, un terme que je n’aime pas bien car en tibétain toumo veut dire “le feu”. C’est plutôt un yoga du feu intérieur où en fait on va utiliser le froid extérieur pour justement aller travailler et activer ce feu intérieur. Cette pratique originaire du Tibet, a été rapportée par Alexandra David Néel, qui a vécu beaucoup d’aventures là-bas et a été la première occidentale à rentrer dans ces mondes mystiques et secrets, transmis uniquement par l’oral. »

stage yoga du froid en hiver dans le Vercors

Comment as-tu découvert le toumo, en voyageant au Tibet ?

“Non je ne suis jamais allé au Tibet. Ma porte d’entrée a été la montagne, depuis très longtemps je me balade en hiver sur la neige. Aujourd’hui je suis accompagnateur en montagne, j’ai une pratique hivernale assidue, ça c’est le point de départ.

Montagne de Glandasse dans le Vercors en hiver

Puis un jour je suis tombé sur une vidéo sur YouTube, une émission de Michel Cimes et Adriana Karembeu sur les pouvoirs fabuleux du corps humain. On y voit un bonhomme en maillot de bain en train de se recouvrir de neige. Il s’immerge dans un lac où il faut casser la glace, épaisse de 10 cm puis il descend tranquillement dans l’eau… Je me suis demandé ce que c’était ce délire et j’ai cherché un petit peu. J’ai découvert qu’il y avait un truc qui s’appelait le yoga du froid ou le toumo. J’ai rencontré le bonhomme en question mais ça ne l’a pas trop fait avec lui. Puis de fil en aiguille j’ai été amené jusqu’à Maurice Daubard, qui avait 85 ans à l’époque. Maurice Daubard qui avait une tête d’ange et était pour moi la figure du sage tibétain. Je l’ai rencontré dans son centre au fin fond de la montagne bourbonnaise. Il a été un des premiers à diffuser ce yoga du froid. Petit à petit je me suis formé avec lui puis j’ai pratiqué le yoga tout court, jusqu’à devenir enseignant en yoga. J’ai ensuite pas mal exploré les choses tout seul et depuis 4 ans j’amène des groupes dans des expériences à la rencontre du froid. “

Physiologiquement, quels sont les effets des expositions au froid ?

« Je ne suis pas médecin donc les termes que je vais utiliser peuvent ne pas être tout à fait corrects… Globalement le corps humain est endotherme, c’est à dire que l’on régule notre température. Tous les organismes vivants ont une température de fonctionnement idéale : nous les humains, c’est aux alentours de 37°C. Si je suis à 38°C ou à 35 °C je fonctionne moins bien, mes fonctions vont être dégradées. Nous produisons et nous régulons nous-même notre chaleur. Si j’ai trop chaud j’ai un certain nombre de réactions physiologiques permettant de faire baisser ma température, comme la transpiration par l’évaporation de l’eau. À l’inverse, si ma température baisse, tout un ensemble de réactions physiologiques vont se déclencher pour l’éviter : la chair de poule (réflexe archaïque où les petits muscles autour des poils se dressent pour augmenter le volume de notre pelage), la contraction des muscles ou tremblements qu’on nomme frisson, la production de chaleur induite par l’exercice physique (avec énormément de perte). Enfin, le dernier mécanisme utilisé par notre organisme est qu’il cherche à protéger le noyau central (les viscères et la tête) en sacrifiant les membres par la vasoconstriction, un mécanisme réflexe qui fonctionne de manière autonome.

On pourrait se représenter une maison où tout le monde se réfugierait dans le salon et où on couperait le chauffage dans toutes les autres pièces. 

Le fonctionnement du yoga du froid est d’aller “prendre le contrôle” sur ces fonctions autonomes “j’ai froid, j’ai mes vaisseaux qui se contractent” et par un exercice de yoga de faire en sorte de les détendre à nouveau”. C’est assez impressionnant d’observer que le sang, ce flux un peu chaud, puisse continuer à alimenter les membres et à les réchauffer.
L’autre élément c’est que notre chaleur va venir aussi de nos organes centraux, une espèce de grosse chaudière intérieure dans laquelle ce n’est pas vraiment nous qui mettons plus ou moins de charbon. Le comportement typique en hiver c’est qu’après un bon repas, on a froid. Le corps ne met en effet pas toute son énergie à se réchauffer, il en met dans la digestion. De la même manière avec le yoga, on va envoyer toute l’énergie du corps dans les fonctions de thermorégulation, c’est un peu comme si on montait la température de la chaudière… »

Peux-tu nous décrire comment se passe une journée de stage toumo ?

“Le stage dans son format actuel se déroule du vendredi soir au dimanche soir. Le vendredi soir les gens arrivent, on a un moment de convivialité pour mieux se connaître. Comme on va avoir une expérience un peu forte, ce travail sur le groupe est hyper important. D’ailleurs souvent les gens nous disent “waouh, si j’avais été tout seul je ne l’aurais jamais fait !” J’installe donc le vendredi, à la manière d’une recette de cuisine, en présentant tous les ingrédients et les ustensiles qui vont être à notre disposition. On est un peu dans la théorie. 
Les 2 jours suivants, le samedi et le dimanche on a 3 phases, avec pour chacune un temps de préparation, d’exposition, de réchauffage :
– le matin à jeun on se lève et on va à la rencontre du froid de façon statique dehors, dans l’air.
– en fin de matinée on va s’immerger dans l’eau. Ici, la préparation est très importante, on prend 2 heures avant d’aller se baigner (et on ne passe pas 2 heures dans l’eau !). Le réchauffage prend du temps aussi, le fait de remonter en température et de laisser sortir tout ce qu’on a vécu de très intense, va durer à peu près trois heures. 

– en fin d’après-midi, on va aller s’exposer à l’air mais en dynamique. On met les chaussures de rando et les raquettes quand il y a de la neige et on enlève les couches. On fait le contraire de ce que les gens font, on prend le bonnet et l’écharpe mais on les laisse dans le sac. On a une exposition quasiment sans préparation, une exposition assez longue 1h, 2h, 3h, cela dépend des gens… et on finit en maillot de bain. »

Faut-il se préparer avant le stage ? Prendre des douches froides ou s’exposer au froid ?

Ce n’est pas obligatoire, mais il faut être conscient que 2 jours c’est très court. Ce que je fais en général, dans les quelques semaines qui précèdent le stage de toumo, je propose des petits exercices à faire chez soi, plutôt dans la douche en jouant avec le robinet du froid. L’avantage c’est que l’on teste seul, sans le regard des autres. Ça ne marche pas toujours car certaines personnes n’arrivent pas à l’intégrer dans leur quotidien et cela peut être difficile psychologiquement. Souvent, les gens arrivent en ayant essayé mais ne sont pas allés très loin. Ce n’est pas grave car il y a quand même une préparation mentale, on commence à y penser.

Dirais-tu que faire du toumo est accessible à tout le monde ou faut-il une motivation particulière ?

Cela m’évoque une stagiaire qui m’a avoué en fin de stage : « Je suis déçue, c’était trop facile ». En soi, rester 10 minutes dans de l’eau à 5 °C, c’est difficile, ce n’est pas anodin. Mais c’est accessible à tout le monde si tant est qu’on soit accompagné. Le fait de préparer le chemin jusqu’à cet exercice-là, fait qu’ensuite il n’y a plus qu’à mettre un pas devant l’autre, juste à suivre la recette. C’est comme un bon gâteau.
Là où c’est difficile, ce n’est pas tant sur le physique, cela peut à des moments être un peu désagréable. En revanche cela peut être perturbant ou renversant d’un point de vue psychologique. Le fait de se retrouver dans une position où l’on n’a pas l’habitude d’aller ouvre plein de choses, c’est un voyage intérieur, ça brasse beaucoup d’émotions. Il arrive que des gens pleurent, que d’autres explosent de rire.
L’important n’est pas la motivation mais l’envie. Et les participants aux stages ont des envies très différentes : certains n’ont jamais fait de yoga mais adorent le froid, certains sont très frileux et veulent changer ce rapport au froid. On a aussi des profs de yoga qui viennent explorer. Ce que chacun cherche est très différent.